
Après six livres, dont trois aux Herbes rouges, Jean-Sébastien Huot a trouvé un nouveau toit, la maison d’édition Mains libres, dirigée par Stéphane Despatie et Corinne Chevarier, afin d’y publier un recueil de poésie regroupant ses propres illustrations. Demeures renvoie à la matrice, au réconfort maternel, à la confiance qu’elle donne pour affronter le monde.
Le cinquième recueil de poésie de Jean-Sébastien Huot, Demeures, est le premier publié par la nouvelle maison d’édition Mains libres et probablement pas le dernier. Somptueusement mis en pages, le texte est accompagné de 18 oeuvres picturales de l’artiste, autant de maisons qui commentent, prolongent ou illustrent le propos.
« J’ai toujours fait un peu de peinture et de collages en parallèle de l’écriture, dit-il en entrevue téléphonique. J’ai exposé ici et ailleurs. Des peintres comme Jean-Michel Basquiat et Cy Tombly ont beaucoup frappé mon imaginaire avec l’utilisation qu’ils font des mots. Et comme écrivain, j’essaie toujours de ne pas me répéter. «
D’ailleurs, dans son recuil Suie (Herbes rouges, 2017), l’artiste indique avoir effectué du collage poétique en s’inspirant du travail de plusieurs artistes visuels vu dans ses voyages et les musées qu’il a visités à travers le monde.
« Demeures est un livre de confinement. Avec la pandémie, je me disais qu’on restait surtout dans notre demeure. C’est une série d’illustrations qui m’est alors venu. J’avais commencé aussi des poèmes avec la figure de la mère, ce qui traverse le livre. Pendant la pandémie, j’ai relu des classiques – Nerval, Verlaine, Apollinaire, Maïakovski – dont j’ai redécouvert la musicalité. Ça m’a rappelé la voix de ma mère qui apportait beaucoup de joie à la maison. »
Demeures se lit comme une partition de musique qu’on pourrait dire « classique » où le rythme ne se veut pas saccadé comme dans Suie, par exemple. Les illustrations montrent plusieurs soleils ainsi que des maisons avec portes et fenêtres. « J’ai voulu écrire un livre plus ensoleillé avec une joie réapprise à travers un langage moins découpé », confirme-t-il.
Elle fut ce printemps muet
Saisons soumises aux poings
Aux sacres aux silences
Elle aura purifié portes serrures
Attisant nos soleils sans peur
Maison mère
La mère était déjà un thème dans son écriture, mais dans un autre mode. Dans Suie, également inspiré par des oeuvres picturales, il évoque une mère mutilée, des femmes aux « orifices lacérées ». Demeures parle davantage d’une mère « demeure pain et joie ». Sans elle, les mots restent « coincés désarmés ».
La poésie très visuelle de Jean-Sébastien Huot offre d’ailleurs des images souvent saisissantes. Ses « vitres animées » ne sont pas loin non plus des anciennes « vues animées ». L’artiste fait se dérouler un film dans la tête du lecteur.

« Dans les années 80 et 90, j’allais au cinéma et il n’y avait presque uniquement que des films sur des tueurs en série avec des corps disséqués. Dans Demeures, je me suis lassé de ces choses reliées à ma jeunesse. Le psychanalyste Jean Laplanche décrivait la poésie d’Hölderlin comme étant un retournement natal inspiré par les chants harmonieux de sa mère lorsqu’il était enfant. C’est un peu ce que j’ai essayé de faire avec un retour vers l’âme. Mes poèmes sont comme de petits murmures. »
Demeures représente sans doute un livre éminemment personnel. Le poète écrit cependant moins une chronique contemporaine témoignant d’une époque qu’il utilise cette fois un sujet unifié autour du « je » qui parle.
« Comme Rimbaud disait, « je est un autre ». Ce ne sont pas des poèmes autobiographiques. La mémoire est importante, mais c’est la voix de la poésie qui me porte. C’est un livre plus classique dans le sens qu’il évoque mes premières lectures. »
Aujourd’hui une éclisse une veilleuse
Les pieds du lit se rompent
Le rêve est une seconde vie 1
Mes souliers neufs que prolonge le printemps
Se consument en un buisson d’aubépines
Demain j’irai avec ma mère remplir
De petites cruches d’eau de Pâques
Légèreté
La mère est ainsi liée à une certaine légèreté, voire un humour certain parfois. Ainsi, dans une illustration montrant une maison jaune, il cite le merveilleux vers de Frédéric Dumont : « maman j’ai encore raté ma santé mentale ». Dans certains collages et citations en italiques, le poète rend aussi hommage à Raymond Carver, Carole David, René Char, Flaubert et Baudelaire, entre autres.
La musicalité présente dans ce récent recueil correspond à sa volonté de recherche continue, d’exploration de nouvelles avenues, lui qui a débuté en poésie au début des années 90 avec une écriture plus punk.
« Comme auteur, j’ai toujours tenté de nouvelles expériences. J’utilise les paroles d’une chanson des Stranglers, Always the Sun, un groupe qui est passé justement du punk à une musique plus soft-rock. Les Stranglers ne se sont jamais répété et c’est ce qui m’intéresse, même si mon univers reste un peu le même. Je ne voudrais pas être associé à un courant en particulier. »
Porté par les mouvements d’avant-garde en arts visuels ou en littérature, il y a peu de chances que Jean-Sébastien Huot se mette à faire dans le remâché. Quoique le papier mâché puisse très bien servir les prochains collages d’un artiste au regard toujours émerveillé.
1- Le rêve est une seconde vie : Gérard de Nerval, Aurélia, Paris, Le livre de poche, 1999.
Demeures
Jean–Sébastien Huot
Éditions Mains libres
96 pages