
Il n’y pas probablement pas de meilleur endroit pour une telle exposition, Photographies queers, que le Musée McCord. En même temps, c’est le plus inattendu des lieux pour une telle initiative! On sait que le musée est propriétaire des archives Notman et qu’on compte en celles-ci un grand nombre de photos dites familiales, montrant, avec les apparats du temps et les postures obligées, les membres de grandes familles bourgeoises d’alors. À l’époque, passer entre les mains de ce photographe émérite et se soumettre à la photographie était une sorte de consécration. Cela contribuait à établir sa prééminence sociale. Les images de famille que propose JJ Levine ne sont pas aussi, apparemment, éminentes! Mais elles participent d’une nécessité plus grande encore et il n’est pas innocent que cela passe par le McCord!
L’artiste s’intéresse à sa famille. Mais ce n’est pas nécessairement de sa famille biologique qu’il s’agit. Mais de ses semblables, de ceux et celles qui s’inscrivent dans ce qu’on considère encore comme étant la marge de l’hétéronormativité familiale. Couples gais, lesbiens, trans ou autres, ce sont de celleux dont l’artiste se réclame dans sa série, encore en cours et probablement pour longtemps, intitulée Portraits Queer. Iels peuvent ainsi apparaître en ses œuvres en célibataires, en couples ou en famille, enfants inclus. Chacun-e est dans un environnement qui lui est familier. Le décor a pu être modifié pour correspondre à ce que l’artiste avait en tête. Les vêtements ont été choisis avec l’aide du futur sujet de l’image, plus souvent qu’autrement en pigeant dans sa garde-robe. JJ Levine offre d’ailleurs quelques pistes sur sa manière de travailler dans un vidéo à caractère explicatif.
Tout cela forme un ensemble d’images très directement construites. La perspective est frontale. Les sujets posent mais sans forcer, comme au naturel. La complicité avec l’artiste qui les croque en images est évidente. Le fait de participer à une sorte de glossaire d’êtres autrement sexués que ce qu’on considère être la norme, doit certes entrer en ligne de compte. Les modèles doivent bien être au fait des objectifs visés par l’image.

Des images de deux autres séries viennent pigmenter quelque peu cette première sélection. Il s’agit de Alone Time et de Switch. Le propos est ici un rien plus confrontant. Dans le premier cas, toujours croqués dans un cadre domestique, des couples hétérosexuels partagent ds moments intimes. Sauf qu’à y regarder de près, on constate qu’un même sujet campe les deux rôles. Évidemment, cette série a demandé un travail de retouche, plusieurs négatifs différents s’amalgamant pour former ce même personnage en deux versions; l’une, féminine et l’autre, masculine.
Switch est le seul ensemble que JJ Levine présente comme étant totalement terminé. En celui-ci, ce sont deux couples, toujours hétéros, qui paradent dans leurs plus beaux atours, photo de dernière minute prise avant la sortie pour un quelconque bal (la si déterminante Prom Night dans l’imaginaire anglo-saxon?). Ces diptyques, apparemment innocents, ont ceci de particulier que l’homme dans l’un devient la femme dans l’autre et vice versa.
Il y a quelque chose de délicieusement pernicieux dans cette dernière partie. Jusque dans le titre si judicieusement choisi! Il fait également référence à deux soupçons contradictoires. D’une part, certains, réactionnaires un rien libidineux, aiment bien considérer ces identités sexuelles, hors norme, selon eux, comme des occasions de débauche, de changements de partenaires assez débridés. D’autre part, ce terme suggère aussi une sorte d’égalité entre les identités masculine et féminine, comme si ces désignations n’étaient pas des constituantes de l’identité personnelle aussi tranchées que l’on pourrait croire. Se manifeste ici une incitation à voir les choses autrement, instillée d’une manière franche et douce à la fois!

Il est vrai qu’une première image aurait pu choquer dans les Portraits Queer, série la plus frappante à mon avis. C’est celle de Harry enceint, partenaire de vie de JJ Levine portant leur enfant. Mais l’image s’insère allégrement dans le continuum formé par tout l’ensemble, auquel cette dernière œuvre contribue.
C’est plus qu’une série qui est constituée ici; c’est un hommage à l’humanité. Humanité aimante, aussi, j’ajouterais; car les enfants de ces couples ne sont jamais très loin. Ils reviennent parfois, comme dans le cas de l’enfant de JJ Levine et de sa.son partenaire, et nous sommes témoins, en quelque sorte, de sa croissance. Des petits vidéos Super8 et 16mm, du style de ceux que l’on prenait et visionnait dans les années 60 et 70, donnent un caractère des plus convivial à ce que l’on voit.
Voilà une exposition dont on aurait pu croire qu’elle serait controversée! Certes, il y a un rien de bravade dans la manière de traiter le sujet, mais elle est empreinte d’une évidente tendresse, tant l’on ressent, devant les images, tout le soin confortant que l’artiste a réussi à apporter à l’ensemble.
La seule norme qui est ici à l’oeuvre, c’est l’amour!

JJ Levine
Photographies Queers
Musée McCord, jusqu’au 18 septembre 2022