LITTÉRATURE : Le fantôme de la liberté

Ève Landry dans We are shining forever à la recherche de l’entrée du royaume des morts, photos: Valérie Remise

Dans le cadre du Festival Phénomena, We are shining forever à la recherche de l’entrée du royaume des morts est un spectacle/célébration des morts vivant en nous. Des morts pas vraiment morts et des vivants pas toujours vivants. Entre rêve et réalité, un spectacle sur ce qu’il en restera : la littérature.

Mathieu Arsenault a publié La morte (Le Quartanier) il y a un peu plus de deux ans. Adapté et mis en scène par Christian Lapointe, le livre devient à la scène We are shining forever à la recherche de l’entrée du royaume des morts. C’est le récit de l’obsession-promesse faite par l’écrivain à son amie Vickie Gendreau, morte en 2013, de lui rendre ce qui lui appartient, c’est-à-dire son statut de grande écrivaine à ses yeux.

En ouverture du spectacle, Mathieu Arsenault intervient devant un rideau noir. Enfiévré, son personnage récite son texte tel un slameur électrisé. Dans le livre, il s’agit d’un journal intime décrivant surtout sa relation avec la morte. Ici, son témoignage devient un chant exalté pour la libération voulue à la fois pour Vickie et pour lui. L’amie est un fantôme à libérer et Mathieu, celui qui se libérera un jour de son engagement à publier les livres inachevés à partir des archives de Vickie.

Vickie est un fantôme sans drap blanc, sans connotation religieuse ou ésotérique. Une réalité, comme un rêve qu’on croit presque concret, qui nous habite et nous fait avancer dans l’obscurité de l’existence. Une présence sans peur et sans reproches, une nourriture infinie. Dans cette première partie, il est autant question de Mathieu Arsenault que de Vickie Gendreau, ces deux entités soudées, difficiles, voire impossibles à démêler.

Ève Landry incarne ensuite la morte plus que vivante. Ce sont les parties du livre qui font comme si Vickie Gendreau parlait en lieu et place de Mathieu Arsenault et/ou s’adressait à lui d’outre-tombe. La comédienne est vibrante, incandescente, dans ce rôle qui lui va comme un gant. Sa Vickie est plus vivante que morte, probablement plus en tout cas que le personnage halluciné de celui qui la devançait sur le plateau.

Enfin, Mélodie Bujold-Henri vient commenter en quelque sorte les deux premières parties à la fois au clavier – interprétant en direct la musique de circonstance de Navet Confit – et en tant que comédienne. Sa performance énergique perd toutefois de son ampleur en raison d’un mauvais équilibre du son entre son micro et la bande sonore.

Dans un décor faux salon funéraire de Claudie Gagnon, la mise en scène use habilement d’un langage des signes inventé dont les trois protagonistes se servent pour illustrer physiquement certain.e.s mots ou expressions : le pouvoir de l’argent, le nom de Vickie ou le symbole d’un ange, les royaumes des morts versus celui des vivants, etc. La surutilisation des mots « chier » et « marde » à l’oral, toutefois, n’apportent aucun élément pertinent à un texte déjà touffu et poétique. En 2022, désolé, mais il n’y a plus rien là de transgressif, et ce, même si Vickie Gendreau en faisait usage.

Les thèmes novateurs et inspirants pullulent déjà suffisamment dans ce spectacle fort original qui nous libère de nombre de tabous et de clichés. Au sujet des parallèles entre la mort et la littérature, entre le merveilleux des rêves et l’ordinaire de la vie quotidienne, entre les fantômes fantasmés et ceux qui nous accompagneront toujours dans la notre vérité non-dite et propre à chacun.

Ce fantôme de la liberté qu’est Vickie Gendreau n’occulte en rien le chant d’amour pudique de Mathieu Arsenault. Dans les mots souvent très drôles de celui-ci, la morte devient aussi un chariot de montagnes russes lancé à toute vitesse vers quelque chose d’immortel qui n’a pas fini de nous et de l’habiter. Viv(r)e nos morts!


We are shining forever à la recherche de l’entrée du royaume des morts est présenté au Théâtre La Chapelle jusqu’au 15 octobre.