THÉÂTRE : Rituel de la refondation

Émilie Monnet dans Okinum, photo: Antoine Raymond

Émilie Monnet, d’origine anishnaabe et française, nous présente une nouvelle mouture de sa pièce Okinum, offerte une première fois en 2018 et récemment publiée aux éditions Les Herbes rouges. Cette nouvelle version semble faire une quinzaine de minutes de moins que celle du Théâtre d’Aujourd’hui. Elle a sans doute gagné en efficacité, ce faisant. Et en intensité!

J’avoue trouver difficile de critiquer cette pièce. Comment, en effet, peut-on se permettre de chipoter sur ce qui ressemble plus ici à un rituel qu’à une œuvre de fiction? On se retrouve en plus au carrefour de la cérémonie, de la performance, genre issu des arts visuels et du théâtre, hybride par excellence, et du chant. Le genre théâtral permet d’englober tout cela. Il revient ainsi à sa source qui est d’offrir présence à des existences et aux questionnements qui émergent du fait d’être. D’être encore et malgré tout, en ce qui concerne une prestation de ce type, de cette manière. Si bien que quelque chose de profondément essentiel émane de cette prestation. 

Cela tient aussi au fait que l’on s’approche ici de ce qui semble être un rapport tout-à-fait différent à l’activité artistique que ne peut l’être le nôtre. L’art semble ici célébration de la vie ; il n’en est pas séparé. Il provient de sa source même. Il est un savoir singulier, mais savoir tout de même! Offrir sa présence en ce cadre est donc marqué par ces distinctions. Surtout quand les manifestations et signes les plus essentiels de sa culture propre sont menacés, pas loin de l’extinction. En témoignent les extraits enregistrés où l’artiste questionne une aïeule (sa kokum, je crois !) sur la portée, la signification et la prononciation de certains mots. C’est une déperdition qu’accentue le fait de recourir à l’anglais comme au français.

Ressourcement, réparation, remédiation : tout est bon à expérimenter dans ce cadre qu’Émilie Monnet a construit et se construit devant nous. La pièce est réconciliation avec soi-même, d’abord et avant tout ! Avant de pouvoir l’être avec ceux qui iront la voir.  L’artiste vit et revit donc un rituel qui tend à la libérer.

Émilie Monnet dans Okinum, photo : Yannick Macdonald

Se refonder

C’est ainsi qu’il faut sans doute comprendre que la scène, centrale, soit d’une forme pentagonale d’où émerge la célébrante. Le pentagone, symboliquement, suggère autant de réunir les cinq sens que d’évoquer les cinq cléments : le feu, l’air, l’eau, la terre et l’esprit. De là surgit toute présence. Au cours de la représentation, les ruptures seront nombreuses. C’est qu’il faut chercher à se refonder, à se reconstituer, à redevenir entière.

Le personnage qui s’agite devant nous alterne entre des scènes de sa vie personnelle et d’autres de sa vie rêvée, en contact avec les fondements de sa culture. On l’accompagne dans la froideur des soins cliniques, des institutions hospitalières. On la voit être sondée pour voir ce qu’il en est de ce barrage qui lui obstrue la gorge, qu’on devine être cancéreux. On la suit dans les méandres d’une langue retrouvée alors qu’une aïeule lui souffle les mots nécessaires à ses retrouvailles avec elle-même. Des fragments à teneur documentaire nous conduisent au grand castor à qui elle demande aide et guérison.

On comprendra, au vu d’un tel programme, que les formes du spectacle varient. Performance, ajout de fragments documentaires, scènes extérieures projetées sur écran, à caractère rituelle, chants puissants : on croirait revenir aux sources de l’aventure cathartique du théâtre. Il s’agit d’expulser le mal et le personnage central est celui qui doit s’en charger. Comme, aussi, de se retrouver entière, en phase avec con propre univers culturel, aujourd’hui à retisser.

La question qui reste est celle de notre propre rapport à cette représentation de cette remédiation cathartiques Le petit thé à partager, proposé à la fin du spectacle par Émilie Monnet, était donc le bienvenu.       

Okinum, photo: Yannick Macdonald

Okinum est présenté à Espace Go jusqu’au 22 octobre 2022