LITTÉRATURE : La colle magique de Clémence Dumas-Côté

Le premier roman de Clémence Dumas-Côté, Glu, fait suite à deux excellents recueils de poésie, L’alphabet du don et La femme assise, tous publiés aux Herbes rouges. Entretien avec une autrice consciente de l’importance des liens, de ce qui nous sauve chaque jour de nous-mêmes et de l’indifférence générale.

Clémence Dumas-Côté a vécu deux naissances en parallèle cette année en mettant au monde un quatrième enfant et un premier roman. La poète qui nous a donné L’alphabet du don et La femme assise est une habituée du multitâche. Pendant plus d’une heure sur Zoom, tenant son bébé dans ses bras, elle a répondu à nos questions au sujet de son plus récent livre.

« Être mère et artiste en même temps, j’avais envie de le faire. Pour les femmes de la génération de ma mère, c’était l’un ou l’autre. J’ai donc décidé d’étudier, de faire des enfants et des livres. Je me suis levée à quatre heures ce matin pour écrire. »

Glu raconte les aventures d’une jeune femme dotée d’une vieille âme, qui fait un peu penser à Amélie Poulain et son fameux destin. Perméable à la douleur des autres, oublieuse de la récente séparation qui est la sienne, elle cherche, malgré tout, à trouver cette fameuse colle magique qui permet de réparer autant les pots cassés que les humains tourmentés. Préoccupée quoi !

Clémence Dumas-Côté, photo:  Katya Konioukhova

 » Quand j’étais petite, j’avais l’impression d’avoir trois ou quatre autoroutes en même temps dans la tête. L’aspect fragmentaire de Glu est voulu. J’écris et je suis sensible au monde dans lequel je vis. Nous sommes dans la génération du clip, des bandes passantes et du flux du monde. Tout cela me traverse. Je commence le livre en écrivant « je suis un tamis » et mon personnage l’est à la puissance 10. Le thème de la connexion et de la déconnexion aux autres est également au centre du livre. Ces moments-là sont aussi dangereux les uns que les autres. On vit tellement de déconnexions que parfois on ne sait plus si nous avons vécu ou pas une situation. »

Envie de magie

Une chance qu’il y a la glu. La néo-romancière dit observer chez ses contemporains une envie de magie doublée de la difficulté à sortir de l’enfance, donc de devenir parent.

« Dans la génération Passe-partout qui est dans l’éveil et la découverte constantes, tout est une possibilité. On papillonne sans cesse. Il n’y a pas de frontière entre moi et ce que je vois. Ça m’absorbe. Sur les couvertures de mes recueils, le paysage englobe le personnage, comme celui-ci essaie d’englober le paysage. »

Après deux livres de poèmes, l’écrivaine se croyait incapable d’écrire un roman puisque « la logique et moi ce n’est pas évident ». Mais elle souhaitait parler à davantage de lecteurs et lectrices qu’en poésie. Le récit de Glu est né au moment de son écoute de la balado de Serge Bouchard Une épinette noire nommée diesel. Dans cette diffusion datant de 2003, l’image d’un Jésuite entrant dans un Tim Horton l’avait frappée au plus haut point.

« Ça ne se peut pas, je me disais. Mais l’apparition d’un personnage, c’est le début du roman. Déjà dans mon recueil La femme assise, il y avait des personnages. Quand on écrit, on est souvent assis. Les femmes, en allaitant, sont assises. Mais c’est faux de dire qu’on ne fait rien quand on est assis. »

Tout n’est pas immobile non plus dans l’univers de Glu où la protagoniste se fascine pour la vie d’un jeune homme qui s’est suicidé. Entre l’attrait du vide et celui de sauver le monde, elle veut se brancher sur la source de l’absolu puisque « l’échéance de tout lien » est bien réelle. Comment et pourquoi continuer alors? Parce qu’il y a l’autre, tout simplement.

Extrait: « Mon corps est immobile, mais à l’intérieur, ça danse, ça secoue, ça hurle qu’enfin, il y a cette personne, il y ces fils qui se reconnectent, l’aimant qui trouve son fer, un endroit où me reposer, où veiller en paix. »

Et maintenant…

Clémence Dumas-Côté écrit une rubrique dans la revue des Libraires, conçoit des balados, écrit d’autres livres, dont un recueil de nouvelles et un nouveau recueil de poésie pour les 9 à 13 ans qui sortira l’hiver prochain à La courte échelle. Les poèmes parleront de séparation et de bégaiement et devraient aboutir également sur scène avec la compagnie de danse Bouge de là d’Hélène Langevin.

Clémence Dumas-Côté a d’ailleurs étudié à l’École nationale de théâtre (ENT) en interprétation pendant quatre ans, même si elle aurait aussi étudié en scénographie et en mise en scène si la chose avait été possible. Elle possède également une maîtrise en création littéraire. Son recueil La femme assise pourrait être lu comme un texte dramatique.

« Au bout d’un an, je savais que je n’allais pas jouer un texte écrit par quelqu’un d’autres si je ne sentais pas l’urgence. J’ai pleuré pendant quatre ans. C’est dur les écoles de théâtre tout en étant merveilleux. J’ai terminé mon diplôme et je ne l’ai jamais regretté. L’expérience du corps m’a permis de m’incarner beaucoup. On me disait à l’ENT que je ressemblais à une âme qui se cherche un corps. « 

Dans une autre vie, si une telle existait, elle voudrait choisir entre trois carrières: correspondante à l’étranger, chanteuse-danseuse, humoriste de stand-up.

« J’écris de l’humour, notamment des histoires de santé mentale et d’agriculture. Je pourrais aussi être journaliste parce que je suis très curieuse. « 

Et Glu, roman en fragments collés, n’est jamais loin de la poésie première, de l’origine de la création pour elle et son personnage.

« Je serai pour toujours livrée en offrande à la poésie », dit la jeune femme qui ne veut, dans le fond, que chaleur et bienveillance infinie.


Clémence Dumas-Côté

Glu

Les herbes rouges

160 pages


Ses recueils:

Je paye pour les réparations

les cabinets de curiosités que je n’ai pas habités.

Il faut ensevelir le temple

où la soif s’est interrompue

je prépare ma déflagration

ascendante au soleil.

J’ai des pansements assortis à chauin de mes embryons.

Je suis une flaque parmi vos harmoniums. »

On est mal insérées

pliées en quatre

séchées dans un drapeau

tu me suggères une équation

une note ruinée

mordue à la nuque

depuis mon expulsion

ta catastrophe est un lieu.