THÉÂTRE : La mort en face

Crédit photo: Maryse Boyce
Crédit photo: Maryse Boyce

Une excellente comédienne, un metteur en scène allumé, un texte original : Annie Darisse, Claude Poissant, Marie-Christine Lê-Huu. Une réussite : Le titre du livre serait Corinne, un court, mais dense, spectacle d’une heure au Théâtre de la Petite Licorne.

C’est beau, noble et touchant. Annie Darisse, qu’on ne voit jamais assez sur scène, raconte dans Le titre du livre serait Corinne, une histoire personnelle bouleversante dans une forme aussi inattendue qu’inventive, quelque part entre théâtre documentaire et tragicomédie, entre biographie et réflexion sociologique.

Au sujet de la mort de sa sœur, Corinne, et de sa nièce, Caroline, dans un accident de voiture survenu il y a quelques années, la comédienne s’est confiée à la dramaturge Marie-Christine Lê-Huu. Celle-ci a tissé un texte d’une richesse narrative aboutie que Claude Poissant, toujours attentif aux nuances, a su mettre en scène avec le doigté qu’on lui connaît.

Cela donne un spectacle où Annie Darisse joue et ne joue pas. Trois pronoms personnels, le « je » ému, le « tu » de la conscience éveillée et le « elle » de « la protagoniste » documentaire sont utilisés pour donner une vision kaléidoscopique d’un drame familial douloureux. La pièce procède ainsi de cette manière inédite pour traiter du vide laissé par les victimes dans la tête et le cœur de ladite « protagoniste ».

Crédit photo: Maryse Boyce

Celle-ci se pose d’interminables questions sur la relation avec sa sœur aînée qu’elle idolâtrait quand elle était enfant. Lorsque ses propres affirmations ne suffisent pas, ce sont des projections de phrases sur le mur derrière qui la remettent en question, comme si sa conscience exprimait des doutes sur ses propres pensées.

Le « personnage » Annie Darisse s’imaginait devenir une écrivaine qui produirait quatre livres : un sur sa grand-mère, un autre à propos de sa mère, un troisième qui se nommerait Corinne – la soeur et, un dernier, pour raconter sa vie à elle. De son côté, le « non-personnage » se laissera tout de même gagner par l’émotion vers la fin, puisque les femmes de sa lignée, dit-elle, auront toutes vécu de véritables tragédies personnelles.

Le spectacle est bien dosé pour permettre la plupart du temps une distance salvatrice entre la comédienne et l’humaine qui a vécu la tragédie. Annie Darisse ne se donne pas le beau rôle dans cette histoire. Juge et partie, elle n’hésite pas à faire son autocritique devant nous. Un humour bien distillé vient fréquemment relâcher la tension d’un fil dramatique qu’on sait, dès le début, imparable.

Crédit photo: Maryse Boyce

Les propos intimes inscrits dans cette forme distanciée servent à nous engager dans une réflexion sur la disparition, le deuil, les relations familiales et la transmission. Au-delà du fait qu’Annie Darisse, sœur et comédienne, ait perdu contact, durant les années précédant l’accident, avec Corinne, elle perçoit dans la mort ce qui toujours restera, bien concret à son esprit malgré tout, le lien, l’amitié, l’amour.


Le titre du livre serait Corinne est présentée à La Licorne jusqu’au 28 octobre.