THÉÂTRE: Basta! Assez!

En grande première nord-américaine, Rebota rebota y en tu cara explota (Ça rebondit, ça rebondit et ça t’éclate en pleine face) est un spectacle espagnol de 90 minutes qui aborde avec un humour grinçant le sujet tragique des féminicides. Le message des artisans de la pièce, Agnés Mateus et Quim Tarrida, est on ne peut plus clair : Assez, c’est assez!

En Espagne, deux femmes sont assassinées chaque semaine en moyenne. Devant cet implacable état de fait, Agnés Mateus et Quim Tarrida ont commencé à travailler sur la pièce Rebota rebota… il y a cinq ans, passant d’une prestation de 60 à 90 minutes avec le temps. Le spectacle est la deuxième partie d’une trilogie sur la violence qui a commencé avec Hostiando a M (violence policière) et se poursuit avec Patatas frita falsas (violence politique).

La problématique des féminicides touche tous les peuples et les pays, elle s’adresse autant aux hommes qu’aux femmes. Dans Rebota Rebota y en tu cara explota (une expression enfantine en Espagne qui équivaut ici à « Celui qui le dit, c’est celui qui l’est »), les cocréateurs mêlent plusieurs formes – performance, documentaire, comédie de stand up, danse – pour éviter de verser dans un didactisme contraignant au cours de ce spectacle présenté 120 fois en Espagne et en Europe.

À Montréal, il y aura des surtitres en français et en anglais. Comme dans d’autres villes européennes, quelques références locales y remplaceront également des réalités de la culture populaire espagnole qui ne sauraient avoir de résonance ici.

L’humour qui s’en dégage va du léger au jaune et au noir en allant vers la colère. Au départ, le couple cherchait à brasser la cage de l’indifférence généralisée face aux féminicides. La classe moyenne européenne blanche ne peut pas se plaindre de grand’chose dans la vie, croient-ils, mais cette classe sociale doit aussi s’ouvrir les yeux sur ce qui se passe à côté de chez elle.

 » Quim et moi disons souvent qu’il faudrait que la vie nous explose au visage plus souvent, confie Agnés Mateus, parce qu’il y a de très dures réalités, impossibles à nier et dont il faudrait être davantage conscients. »

Cabaret

Le spectacle prend la forme d’un cabaret très physique, voire organique, où il n’y a pas de quatrième mur. En solo, la comédienne s’adresse directement au public en ne lui laissant que peu de chances d’échapper au message de la pièce. L’ambigüité y est, par contre, habilement cultivée de sorte qu’au sortir de la salle, les spectateurs n’ont pas le sentiment d’avoir été aliénés et peuvent réfléchir librement à ce qu’ils ont vu et entendu.

« Il est certain qu’on voulait montrer une problématique qui existe dans la société, précise Quim Tarrida. En tant qu’artistes, notre rôle est de parler, entre autres, de ces réalités qui nous incommodent. Nous montrons ce qui existe et ce qui, à notre avis, doit absolument changer. Nous utilisons le théâtre pour mettre un grain de sable dans la machine en montrant que ces réalités universelles ne peuvent plus durer. Tout le monde doit contribuer à trouver des solutions. »

Cet artiste visuel et homme à tout faire dans la troupe de théâtre estime que la parodie sert bien leur propos sur un sujet des plus complexes tout en permettant de passer subtilement quelques messages.

« Les féminicides existent, il n’y a plus aucun doute là-dessus, il ne sert à rien de tenter de le nier, ajoute Agnés Mateus. Dans le spectacle, on essaie de montrer plusieurs gestes ou paroles qui peuvent y mener : les insultes, les malentendus, la domination masculine, l’éducation, les contes de fée machistes. Le système patriarcal dans lequel nous sommes toujours possède plusieurs ramifications et le féminicide forme le dernier élément de la chaîne de la violence faite aux femmes. »

Prise de conscience

Malgré ce qu’on pourrait croire, il ne s’agit d’une thèse dogmatique qui nous est proposée ici. Le spectacle navigue dans des situations et des discours ambigus dans un esprit de distanciation qui ne peut mener qu’à une prise de conscience et un débat subséquent.

Malgré le mouvement #metoo et les avancées qui en ont découlé, la réponse des défenseurs du statu quo s’avère souvent plus agressive depuis des années. Rebota rebota… réaffirme donc l’urgence de répéter qu’il n’y a rien d’exagéré dans le fait de dénoncer les féminicides, que le temps de la simple pédagogie est chose du passé. En Espagne, justement, un tout premier ministère de l’équité a été créé récemment.

« Plusieurs hommes puissants se battent contre les changements et pour le maintien de leurs privilèges, mais les choses avancent, croit Agnés Mateus. Il y a une tendance de fond en faveur des changements sociaux. Les hommes se doivent d’y prendre une part active. Ça prendra plusieurs années sans doute, mais il y a de l’espoir, notamment chez les plus jeunes générations. »

« Notre création se veut un pas en direction de l’empowerment des femmes, ajoute Quim Tarrida. Elles nous disent que ça suffit et que c’est une lutte commune qu’il faut mener. Quand nous faisons des rencontres après-spectacle, on s’aperçoit que les gens, heureusement, en sont de plus en plus conscients. »


Rebota rebota y en tu cara explota est présenté au Théâtre La Chapelle du 3 au 8 novembre. Il y aura une rencontre publique en français après la représentation du 4 novembre.