THÉÂTRE : Trouver les mots

Anne-Marie Olivier dans Maurice, photos: Émilie Dumais

Anne-Marie Olivier a quitté la direction artistique du Trident à Québec en 2022 après une belle aventure de neuf ans. La dramaturge-metteuse en scène-comédienne souhaitait renouer avec la création avec sa compagnie Bienvenue aux dames. D’abord prévue en 2020 et retardée par la pandémie, sa pièce Maurice arrive enfin du CTDA. Un spectacle intime traitant des enjeux de l’aphasie.

Pour son premier projet hors Trident, Anne-Marie-Olivier a choisi de préparer un solo dans le but de relater une rencontre qui l’aura beaucoup marquée avec Maurice Dancause, économiste et fonctionnaire. Cet homme a été victime d’un AVC il y a plusieurs années. Aujourd’hui aphasique, complètement transformé, il aura réussi à réapprendre à aimer la vie et à en profiter pleinement.

 » Maurice c’est un rappel que nous sommes chanceux d’avoir accès au langage et à tous les mots, ce qui est impossible pour les aphasiques, explique-t-elle. Il y a quelque chose de prodigieux dans le corps humain qu’on prend trop souvent comme acquis. « 

Dire qu’Anne-Marie Olivier aime les défis relève de l’euphémisme. Dirigée sur scène par Olivier Arteau (son successeur à la tête du Trident), elle interprète Maurice en invitant un membre du public à se joindre à elle. À partir d’un canevas et de quelques dialogues écrits, elle improvise chaque soir selon les interventions du spectateur ou de la spectatrice ainsi que du public.

 » C’est un peu fou comme projet, avoue-t-elle, mais on est vraiment dans l’art vivant et la rencontre. Je reviens à la base du théâtre. Le spectacle n’est pas complexe formellement. Il se teinte de la personnalité du spectateur ou de la spectatrice qui s’assoit avec moi. Ça crée quelque chose de magique qui me permet de revivre ma rencontre avec Maurice. « 

Elle aura mené beaucoup d’entrevues avec M. Dancause dont on peut entendre la voix au début et sa réaction à l’annonce qu’Anne-Marie Olivier allait l’interpréter sur scène.  » Ça permet de montrer qu’il est totalement d’accord avec ce processus créatif. C’est un être charmant et étonnant. « 

La communication peut parfois représenter un sport extrême. On comprendra que cela demeure un obstacle majeur pour les personnes aphasiques. C’est l’idée même du spectacle : comment peut-on mieux se comprendre ? Doit-on absolument aider les personnes qui souffrent d’un handicap ou ces gestes représentent-ils une frustration de plus pour elles ?

 » Tout le monde est suspendu aux lèvres d’une personne aphasique pour essayer de saisir ce qu’elle dit. On essaie de compléter ses phrases, sa pensée. Dans la pièce, le public fait la même chose en participant. Plusieurs choses sont arrivées quand on a présenté Maurice à Québec. Par moment, on peut se sentir largués comme spectateur et spectatrice, mais l’idée c’est de prendre le temps de comprendre, de remplir les trous dans le langage. C’est la beauté de la chose.  »

Nouvelle vie

Aveu surprenant : le personnage de Maurice dans la pièce affirme qu’il préfère sa nouvelle vie à son ancienne, et ce, même s’il a dû faire plusieurs deuils depuis son AVC il y a 33 ans.

 » À son contact, j’ai compris qu’il y a un avant at après l’accident. Socialement, ça peut être très exigeant, mais ça représente parfois des avantages. Maurice ne porte plus le même regard sur le monde. C’est fascinant. En ce sens, le spectacle se veut une célébration de la vie. »

Ce qui sauve cet homme : l’opéra. Maurice Dancause adore la musique, ce qui lui permet de vivre ses émotions. Il s’agit d’un homme complexe et cultivé. Assister à la pièce c’est aller à la rencontre d’un personnage qui a des idées bien arrêtées sur la vie en société, la politique, la religion. Un homme qui a vécu énormément de frustrations et qui n’a plus, aujourd’hui, d’inhibition.

 » Quand je l’ai écouté raconter son parcours, explique Anne-Marie Olivier, j’ai complètement oublié mes propres insatisfactions. Cette rencontre m’a permis de relativiser bien des choses dans ma vie. Je crois que le public peut ressentir la même chose lors du spectacle. Plein de gens confondent la maladie mentale avec l’aphasie, mais ça n’a rien à voir. « 


Maurice est présenté au CTDA, salle Jean-Claude Germain, du 16 janvier au 4 février