THÉÂTRE : Pourquoi rêver ?

Anne-Marie Cadieux et Henri Chassé dans Le traitement de la nuit, photos: Yanick Macdonald

Le traitement de la nuit d’Evelyne de la Chenelière trace un chemin sinueux entre rêve et réalité. À la mise en scène et à la scénographie, le duo formé par Denis Marleau et Stéphanie Jasmin y ajoute des couches d’interprétation qui font du spectacle un objet d’une grande théâtralité, maquillant habilement sous le rire plusieurs drames de notre époque.

Si des thèmes chers à Evelyne de la Chenelière comme la famille et les relations homme-femme reviennent dans Le traitement de la nuit, il nous est apparu que la dramaturge expérimente ici avec un style davantage porté vers la comédie noire avec Le traitement de la nuit. On y retrouve des accents woolfiens (comme dans Virginia) de Lumières, lumières, lumières – pièce aussi mise en scène par Denis Marleau -, ainsi que des envolées vers le burlesque et le théâtre de l’absurde.

Le récit lui-même appelle cette fusion des genres. Quatre personnages interagissent, plus ou moins, afin de présenter leur version personnelle d’événements qu’ils et elles ont, ou pas, vécus. Bernard (Henri Chassé) et Viviane (Anne-Marie Cadieux) sont les parents de Léna (Marie-Pier Labrecque) qui vit une aventure avec Jérémie (Lyndz Dantiste), le jardinier du vaste domaine des parents donnant sur la mer.

Le charme indiscret de cette bourgeoisie révèle très vite la superficialité de la vie de Bernard et de Viviane, la colère de leur fille, ainsi que les plans machiavéliques de Jérémie pour renverser cet ordre établi, quoique fort bancal au demeurant. Qui dit vrai dans ces différentes versions d’un drame à venir ou passé, inventé ou réel, on ne sait trop. Qu’est-ce qui est vraiment arrivé dans la nuit noire des âmes meurtries de ces quatre mal aimés ?

Peu importe en fait, c’est du théâtre et du fort bon d’ailleurs.

Manipulant des répliques faussement banales, le metteur en scène et la scénographe/vidéaste nous montrent toute l’insignifiance et l’hypocrisie des deux propriétaires terriens. Bernard et Viviane ne tentent que de sauver les apparences et leur bonne conscience. Leur vie somme toute médiocre, dont la vraisemblance sonne réellement faux, s’étale devant un écran couvrant toute l’arrière-scène qui célébre, en contraste, le triomphe d’une nature somptueuse et millénaire, composée de splendides couchers de soleil, de vagues et de fougères.

Cauchemar

 » Pourquoi rêver ? « , répétera sans cesse Viviane en insinuant que ses songes sont des cauchemars puisqu’ils ressemblent trop à la vie. Sa fausse candeur et celle de son mari se fracassera lorsque les deux laissent sortir leur colère, voire leur folie. Le mensonge habite aussi leur fille qui se donne des airs nihilistes, mais qui est surtout porteuse de cruauté. Idem pour Jérémie dont les traumatismes de l’enfance sont déconstruits par une attitude tout aussi désinvolte et délètère.

Un passage autoréférentiel à Vers le phare (inspiration woolfienne de Lumières, lumières, lumières) par-ci puisque la Mercedes de Bernard ne possède qu’un phare ; des répliques renvoyant à l’écriture de Ionesco par-là ; la troupe qui déclame plus souvent qu’elle n’incarne, dirigée magnifiquement par Denis Marleau ; la scénographie froide à souhait de Stéphanie Jasmin. Tout nous place cevant un cercle humain aussi infernal qu’insipide.

Si ils et elles vivent tous et toutes mieux dans la nuit, finalement, c’est qu’ils ont des choses désespérantes à cacher sur leur nature profonde. Le plus beau dans cette musique jouée avec subtilité et nuances, mais aussi faite d’éclats incompréhensibles et de déchirements violents, c’est qu’on pourrait y percevoir totalement autre chose. Un spectacle qui ouvre le sens, court, mais dense, drôle, mais tragique.

Parmi l’assistance, on se partage rires et étonnement entre innocence et cynisme. Sans aucun souci de réalisme, Le traitement de la nuit nous fait voir tout ce qui ne va pas, ne va plus, dans notre confort et notre indifférence d’après crise pandémique, dans nos angles vraiment morts et nos faillites intimes.

Vivement un autre jour et un autre monde. Lumières!


Le traitement de la nuit est présenté à Espace GO jusqu’au 2 avril.