LITTÉRATURE: Amour mais pas toujours, toujours pas l’amour

Deux romans graphiques sur le désamour, la douleur, le vide, la paralysie. Félix Crépeau a développé un style singulier où la candeur côtoie la tristesse, où l’image onirique allège un propos parfois très sombre. L’autofiction sert ici à conjurer le sort et à apprivoiser les démons.

Que reste-t-il de l’amour quand on pense n’avoir que l’amour? Une peine, suivie d’une panne. C’est ce que suggèrent les romans graphiques de Félix Crépeau publiés aux Éditions de la Grenouillère. Deux livres où le verbe et l’image creusent l’après, mais pas de la même façon. L’art de cet artiste est d’utiliser des illustrations très colorées et dynamiques comme contrepoids à un propos parfois désillusionné.

Une peine d’amour décrit les nombreux changements dans la vie d’un père séparé de sa copine et de leurs enfants. Le narrateur semble plonger dans un puits sans fin. Il voit tout en noir, y compris lui-même, et il est clair que la dépression le guette. En termes de psychologie, ça s’appelle la distorsion cognitive.

Les illustrations sont simples, parfois répétitives du propos, souvent déjantées, voire humoristiques, ne cherchant que très rarement la vraisemblance. L’art graphique de Félix Crépeau fait surtout appel à l’imaginaire. Ses images nous éloignent considérablement du réalisme cru et lancinant du texte.

Félix Crépeau utilise le noir et blanc autant que la couleur ici, entremêlant souvent les deux dans la même page. Le rythme est assuré par les ruptures entre les différents types de dessin, leur taille, ainsi que des planches à deux ou trois cases. Pas de doute, l’artiste sait raconter une histoire.

L’esprit et la lettre et l’image nous rappellent à quelques reprises l’imaginaire du grand dessinateur français Fred et de son personnage fétiche, le mélancolique Philémon.

La panne d’amour de Félix

Dans La panne d’amour de Félix, la technique diffère quelque peu. La plume de l’auteur a pris du gallon, le texte une assurance et une qualité supérieure, faut-il dire. L’auteur s’expose en pleine page avec nombre de métaphores et de réflexions intercalées entre des illustrations qui ont gagné en précision et en finesse.

« On est tous/toutes recollés, réparés, raboutés, ramanchés. On est tous fragiles, pis on se magane, sans cesse ou sans le vouloir vraiment. Je sais pas trop pourquoi on fait ça, on se fait ça. »

L’insurmontable peine d’amour prends moins de place. Le narrateur s’identifie à son poisson rouge dans son bocal. Il nage toujours en eaux troubles, mais reste proche de la surface. L’oxygène semble moins lui manquer. L’avenir apparaît plus… coloré!

Dans cette autofiction de plus en plus affirmée, jusque dans le titre, il apparaît que le personnage principal connaît des problèmes d’addiction. Comme dans le roman graphique précédant, on parle de dépendances au pot et à l’alcool. Mais l’obsession principale du narrateur tourne toujours autour de celle qu l’a quitté, identifiée par un « tu » très présent dans le récit.

Le narrateur semble incapable de se questionner sur les raisons profondes des manques qu’il vit. Il est en panne. En ce sens, cette étape peut paraître encore plus dure que la peine. Mais le style de Félix Crépeau est toujours de faire de l’équilibre sur un mince fil en contrebalançant propos sombre et illustration luxuriante. Entre le noir et la couleur.

L’artiste marche courageusement sur cette ligne entre l’envol et l’apitoiement. Sans pudeur, sans excuses non plus. Sa franchise fait mal, sa franchise fait du bien. Le narrateur construit sa propre thérapie, le lecteur, lui, se pose les questions qui en découlent. Entre les deux, le cœurs vacillent.

L’amour serait donc une drogue quoiqu’on en pense. Mais peut-être pas toujours si ce sentiment commençait par s’appliquer à soi-même par exemple, ou encore si on ne le voit plus comme une fin en soi. La guérison ou un nouvel amour apparaîtront-ils comme dernier volet de ce qui pourrait devenir une trilogie? On se le souhaite.

planche inédite de Félix Crépeau fournie par les Éditions de la Grenouillère.

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Félix Crépeau

Une peine d’amour

Éditions de la Grenouillère

96 pages

et

Félix Crépeau

La panne d’amour de Félix

Éditions de la Grenouillère

96 pages