LITTÉRATURE: La vie cicatrisée

La poète Marie-Élaine Guay raconte sa vie et celle de ses proches dans Les entailles, un récit émouvant publié par Poètes de brousse. Il y est question des sillons creusés par les maladies, le vieillissement et la mort dans la peau et dans l’âme. C’est un livre précieux.

En toute franchise et fièrement résolue, Marie-Élaine Guay analyse les marques laissées par la vie sur une âme flétrie et dans une tête pensante, les siennes. Récit éminemment personnel, Les entailles sont, en fait, des brèches universellement ressenties qui touchent au plus friable des entrailles. Ce récit est une forme de cri du cœur que l’on pourrait entonner en chœur.

D’une sincérité percutante, la poète renoue avec son père aujourd’hui disparu tout en rompant définitivement, croit-elle, avec sa mère. Les trajectoires en zigzag de l’un et de l’autre ont endommagé profondément son existence, mais l’autrice ne cherche pas à attirer la pitié. La résilience demeure au centre du propos.

Tout n’est pas noir ou blanc comme elle nous le fait comprendre. La force du livre réside justement dans une volonté ferme d’examiner les zones grises, les endroits fragiles, les relations tendancieuses, les sentiments mitigés. Peut-il en exister d’autres dans une vie humaine?

« Je réalise que ce ne devait pas être une souple tâche que d’être mon parent. Les ressources manquaient à celle qui m’avait donné la vie sans avoir réglé la sienne auparavant. Ma mère a manqué d’amour et de stabilité, elle ne savait pas comment cuisiner la recette du bonheur – si une telle chose existe… »

Lucide, l’autrice constate que les carences parentales affectent les générations qui suivent dans une sorte de cercle vicieux dont il est difficile de sortir. Pour la narratrice, rebrousser chemin et sauver sa propre peau deviennent alors une forme de sollicitude.

« Lorsque le passé d’un parent est inondé de blessures non guéries et qu’à même cette noyade ce parent étend couche sur couche l’alcoolisme, le jeu compulsif, le vol, la manipulation, le mensonge, le retrait et l’abandon, succombant ainsi aux maux et manquant à ses responsabilité, il décapite l’univers de celui ou celle qu’il a mis au monde, en même temps que le sien. »

Comment guérir alors? Il ne s’agit pas, dieu merci, d’un livre de recettes. Chacun.e devra faire l’effort de trouver le cheminement approprié. Marie-Élaine Guay sait désormais que sa détermination l’a aidée à ne pas répéter les patterns filiaux. Devant la fin atroce de son père victime d’Alzheimer, qui était loin d’être un parent parfait soit dit en passant, elle dit « écrire ce livre comme une révolte » et pour « assassiner » le poids de sa famille.

 »Je crois qu’il faut se méfier de ceux qui clament que leur famille est irréprochable. »

L’autrice sait décrire les choses crues, évoquer les possibles évasions et quelques solutions envisageables dans une écriture tantôt directe, tantôt plus poétique. C’est beau et émouvant. Comme lecteur, l’on se voit accepter cette colère pour ce qu’elle est en se posant les question appropriées face à nos propres actions.

Parfois, l’autrice emprunte un ton à la « J’accuse » qui peut écorcher. Malgré cette colère à peine contenue, la sincérité de l’ensemble et la volonté d’aller au bout d’une démarche forcent l’admiration. En outre, percevant les entailles profondes, visibles ou non, causées sur l’autrice (sentiment d’incompétence, mutilations, refus de l’amour, excès de toutes sortes), on ne peut que joindre notre voix à celle qui suggère, dans le fond, de renforcer les minces fils de l’amour et de la famille qui nous unissent toutes et tous.

« Notre société, à la manière d’un ménage irascible, accule puis enferme ce qui ne lui est plus utile et rejette ce qui lui déplaît. Il faudrait tout revoir, tout reconstruire, avant que ça ne s’écroule davantage. »

Marie-Élaine Guay, nouvelle maman, dit vivre un cycle nouveau dont elle est maître, désormais. Elle prône le respect, l’empathie et l’écoute. Elle en a vécu d’autres et ne veut surtout pas traîner avec elle et sa descendance les effets délétères de la filiation.

Ce sont de fort judicieux conseils de la part d’une guerrière qui, malgré les nombreuses embûches, a surmonté beaucoup et n’a jamais renoncé. Les cicatrices resteront visibles, évidemment, comme autant de témoins d’une vie guérissable, comme repères dans une route cahoteuse mais qui n’est pas finie. La source d’une certaine sagesse en quelque sorte.

Sans que ces mots soient écrits, il y a pardon et rédemption dans ce récit, mais Marie-Élaine Guay n’en fait surtout pas une religion. Elle vit avec le sourire de quelqu’un qui n’en a rien à foutre. Il suffit de comprendre, même si ce n’est pas donné à tou.te.s, c’est qu’« il y a en nous quelques beautés qui n’ont jamais observé leur reflet dans le miroir ».


Marie-Élaine Guay

Les entailles

Poètes de brousse

128 pages