
Serge Bouchard nous laisse bien orphelins! Sylvain Campeau rend hommage à l’homme de mots, de pensées et, surtout, de réconciliation avec les Premières nations.
Je ne suis pas un proche de Serge Bouchard. Je n’ai pas non plus eu l’occasion de le rencontrer. Sinon par livres interposés! Un surtout, prêté à mon neveu qui l’a fait signer à l’auteur (lui, l’a vu et lui a parlé!) et ne me l’a donc jamais remis. Je ne pourrai donc pas vous parler de l’homme, de sa voix grave et onctueuse, de ce qu’il a laissé à ceux qui l’ont approché et croisé. D’autres le feront bien mieux que moi.
Mais je peux vous parler, et amplement, du plaisir que j’ai pris à le lire. Car, Serge Bouchard, c’était la fluidité même de l’écriture qu’il représentait pour moi. Les choses se disaient comme elles se disaient parce que c’est ainsi qu’elles devaient être dites. Pas plus, pas moins! Il avait acquis, à force de travail et par son talent tout aussi bien, la capacité de parler juste, de nommer avec précision et art ce qui lui tenait à coeur. Il nous parlait de qui nous avions été et étions encore, pouvions encore être si nous le voulions! C’est ce qu’il me semblait à le lire.
Il aimait plus que tout les oubliés de l’histoire. Non pas ceux qui étaient venus en cette terre nouvelle en fausse gloriole, mais ceux qui étaient arrivés, humbles, et qui avaient peiné à survivre et comprendre ce que ce territoire inédit pouvait présenter de richesses pour la connaissance comme pour la survivance. Ceux qui avaient montré de l’audace et du mérite, aussi! Qui avaient eu le front d’aller partout parce qu’ils sentaient qu’il le fallait, parce qu’une grande curiosité les animait, parce que l’horizon lui apparaissait devoir receler de bien grandes opportunités de toues natures.
Écoute
Pour ce faire, cependant, il fallait savoir écouter ceux qui pouvaient partager avec nous cette ampleur et cette sagesse du territoire. Pour que les nouveaux arrivants sachent écouter, il en fallait bien d’autres qui acceptent de parler et d’enseigner. Qui le pouvaient parce qu’ils le voulaient bien.
De ceux-là, Serge Bouchard nous a dit, sans tancer inutilement, mais sans nous épargner non plus, ce qu’il leur en avait coûté d’être si généreux. Mais, surtout, il nous a dit combien ces nations premières lui apparaissaient riches d’une certaine humanité dans leur douleur et leur volonté de ne pas être oubliés. Et il nous a dit combien on pouvait apprendre d’eux. Nous a rappelé ce que nous leur devions et qu’on s’empresse bien trop vite de dérober à l’histoire.
Personnellement, je crois avoir pu rêver avec lui. M’être réconforté et réchauffé au feu de camp autour duquel, en certains moments bien précis de notre histoire, en ces débuts chaotiques et loin des centres de décision qu’étaient Montréal et Québec, des peuples différents se sont rencontrés et ont échangé, dans le respect l’un de l’autre.
Vies singulières
Car Serge Bouchard nous racontait les destins de ceux qui avaient su profiter de ce qu’ils avaient pu apprendre, qui avaient marché dans les traces des premiers habitants d’ici, qui avaient grandi à l’aune des connaissances grâce à eux acquises. Parce qu’il savait si bien les décrire, ces vies singulières devenaient l’équivalent de ces moments assez rares et évanescents où certains ont rêvé d’une alliance, librement consentie. Dans cette histoire commune revisitée par lui, il faisait miroiter ces échanges et cette communauté de destin, comme un fondement à partir duquel pourrait être forgée une histoire future, un jour peut-être, on le souhaite, exempte, sinon de ressentiment, du moins d’injustice.
En fait, tout ce qu’il a pu raconter, devait bien se fonder sur un espoir de possible réparation.
En ces temps douloureux parfois, Serge Bouchard nous aurait été utile pour nous aider à imaginer un avenir qui sache faire fi des avanies du passé. Il aurait su nous apaiser, nous rappeler ce que l’histoire a pu posséder de moments de rencontres aussi, d’ententes et d’équilibre.
Nous ne l’avons plus mais nous avons son œuvre qui peut aujourd’hui nous consoler et, une fois ce deuil passé, demain, bientôt, nous ragaillardir à l’idée qu’il a vécu et qu’il est passé dans nos vies. Nous avons son œuvre pour nous redonner foi en l’avenir.
Adieu, M. Bouchard! Nous vous lirons encore et encore!
Quelques titres
Serge Bouchard et Mathieu Mestokosho, Récits de Mathieu Mestokosho, chasseur innu, Boréal, 2004, 193 pages
Serge Bouchard et Marie-Christine Lévesque (ill. Francis Back), Elles ont fait l’Amérique : De remarquables oubliés, Tome 1, Éditions Lux, 2011, 448 pages
Serge Bouchard et Marie-Christine Lévesque, Ils ont couru l’Amérique : De remarquables oubliés, Tome 2, Éditions Lux, 2014, 420 pages
Serge Bouchard, Sylvie Vincent, José Mailhot et Louise Sauvé, Peuples autochtones de l’Amérique du Nord : de la réduction à la coexistence, Télé-Université, 1993, 523 pages