THÉÂTRE : Un bijou d’intérieur

Brigitte Saint-Aubin dans Design intérieur, photos: Le petit russe

Chez Duceppe jusqu’au 20 juin, Brigitte Saint-Aubin refait son Design intérieur. Comme plusieurs d’entre nous en temps de crise, en raison d’un deuil ou d’une pandémie. Les moments charnières nous remettent souvent en question. Ainsi parlait Andromaque de Racine : «Où suis-je? Qu’ai-je fait? Que dois-je faire encore? Quel transport me saisit? Quel chagrin me dévore?»

Lors du décès de sa mère il y a quelques années, Brigitte Saint-Aubin a senti qu’elle en était à un point tournant dans sa vie et sa carrière. La comédienne autrice-compositrice-interprète est retournée aux études… en design intérieur! Ce changement salutaire, au final, n’avait toutefois rien de cosmétique.

« Ma mère était malade depuis cinq ans, j’étais fatiguée. J’ai dû tout arrêté. Cette perte est un événement important dans une vie. J’avais besoin de prendre du recul. Je n’étais même plus certaine à quel point mon métier me satisfaisait. »

Au-delà des couleurs des murs de la cuisine ou de l’habillement des fenêtres, son cours d’un an lui a permis de répondre aux questions existentielles qu’elle se posait.

« J’ai choisi à nouveau mon métier comme quelqu’un qui se marie une deuxième fois. Je l’aborde différemment maintenant. La pandémie a eu la même effet pour plusieurs de mes collègues qui ont dû revoir leur choix de carrière. Je crois que le spectacle résonne encore mieux pour cette raison. »

Mis en scène par Éric Jean et présenté pour la première fois à Coup de cœur francophone en 2018, Design intérieur comprend des chansons et de la musique en direct, mais cette fois, le deuil d’hier arbore les couleurs de la pandémie. Dans tous les cas, il s’agit d’un temps d’arrêt qui peut mettre un frein à la fuite vers l’avant que plusieurs connaissent très bien.

« Qu’est-ce qui motive nos choix ? Quels sont nos réels besoins ? Pourquoi creuser un puits sans fin dans nos vies ? La beauté de la vie c’est de se trouver à la bonne place au bon moment. Faire de notre mieux dans le moment présent, plutôt que se projeter constamment dans l’avenir, être dans ce qui vient après. Tout le temps. Être conscient de la mort, c’est donner toute la place à la vie. »

Lâcher prise

En pause de carrière, Brigitte Saint-Aubin dit avoir appris à lâcher prise. On construit et on embellit sa maison à l’image de ce qu’on est à l’intérieur, ce bijou qu’on oublie parfois d’explorer.

« L’architecture et le design me séduisent parce que c’est la recherche de l’équilibre entre la fonction et l’esthétisme. Si je structure les choses et la vie autour de moi en beauté, je vais rayonner bien mieux. En étudiant le design intérieur, je me suis confirmé le fait que c’est moi que je cherchais. »

Le retour aux études a aussi occasionné un choc puisqu’elle suivait des cours avec des étudiants plus jeunes qu’elle.

« Les lignes de temps m’ont toujours fascinée. En étant avec des jeunes, je me rendais compte que je m’éloignais de la leur pour aller vers celle de ma mère. Cette autre partie de ma vie, je la vois maintenant comme un moment de floraison. Mais ce ne sont pas les fleurs du printemps que représentent les plus jeunes. C’est un apprivoisement sans fin que d’atteindre cette sérénité. »

S’emparer de couleurs nouvelles pour dessiner sa vie autrement. Il y a un avant et un après et ce n’est pas une raison pour broyer du noir. Être artiste c’est trop souvent réussir aux yeux des autres, mais comme l’a si bien compris Brigitte Saint-Aubin, « cela peut devenir un jeu dangereux ».

Dans cette pièce autofictive, elle joue, sans danger, plusieurs autres personnages. Elle se parle à elle-même et au public. Et elle chante aussi, accompagnée de trois musiciens en direct: Guido Del Fabbro, Bernard Falaise et Vincent Carré.

« Le spectacle est tout en ruptures de tons. Les musiciens sont comme des personnages fantômes. On ne les voit pas tout le temps parce qu’ils sont derrière des surfaces semi-transparentes où il y a des projections. La musique est un personnage. C’est plus sensible, organique comme ça. C’est du théâtre, c’est fluide, ce n’est pas un spectacle découpé entre textes et chansons. »

Dans la tête désormais sereine de Brigitte Saint-Aubin, on peut imaginer un intérieur fort bien pensé et accueillant.


Design intérieur est présenté chez Duceppe jusqu’au 20 juin.