LITTÉRATURE : Les arbres du Noroît

Le Noroît est une forêt mature qui compte des centaines d’arbres-poètes publié.e.s en 50 ans. Une forêt diversifiée, comportant autant d’essences de plantes ligneuses terrestres indigènes qu’exogènes avec plusieurs branches. La cinéaste et photographe Monique Leblanc s’y est promenée pendant quelques années dans le but de célébrer la maison d’édition. Elle a planté un arboretum, J’écris peuplier, c’est-à-dire un très beau livre illustré avec soin et pertinence. En dialogue avec les textes de 25 femmes et de 25 hommes ayant publié au Noroît, surtout depuis les années 80.

Monique Leblanc travaillait encore sur son adaptation cinématographique du magnifique recueil de Louise Dupré, Plus haut que les flammes en film, quand elle a rencontré Paul Bélanger, alors directeur du Noroît, qui lui a proposé de se lancer dans l’aventure d’un livre anniversaire.

« J’ai lu beaucoup de recueils et j’ai entrepris le projet un peu comme si je construisais un film. Les seuls contraintes étaient de choisir 25 hommes et 25 femmes qui représentent les cinq décennies de la maison. La poésie des années 70 et 80 n’a pas la résonance de celle qui vient plus tard, donc on en retrouve moins dans le livre. »

J’écris peuplier – phrase tirée d’un texte de Célyne Fortin, cofondatrice, avec René Bonenfant, de la maison d’édition – possède son rythme et ses couleurs, un peu comme un film d’ailleurs. Les photos représentent souvent la nature et, parfois, quelques êtres humains.

« Quelques photos anciennes de personnes viennent assurer une certaine présence humaine. On peut les imaginer comme des personnages sou des sujets de poème. Ça laisse planer un certain mystère agréable, je crois. »

Comme il ne s’agissait pas de façonner une anthologie, le mariage texte et photo est au centre de la démarche. La photographe a imaginé un récit en cinq parties qui va de la naissance ou du commencement jusqu’à la maturité où s’ouvre le ciel, en passant par le début de la conscience, l’écriture et le paysage.

« Louise Warren, par exemple, pouvait se retrouver dans toutes ces parties, mais je devais choisir. Ma maison est assez grande et, l’été dernier, c’était un véritable chantier avec du papier partout au sol. J’ai tout retranscrit les poèmes que j’aimais le plus en essayant de les agencer et en gardant un équilibre entre les poètes. »

« Le film sur le texte de Louise [Dupré] m’a permis de plonger tête première dans la poésie du Noroît, continue-t-elle. C’était un peu le même défi avec le livre. Il ne s’agissait pas d’illustrer les poèmes. mais de les accompagner, les amener plus loin en suggérant. Quand il n’y avait pas de dialogue possible entre textes et images, j’isolais les images ou les textes pour faire une pause. »

Les recueils

Pendant plusieurs mois, l’artiste acadienne repartait de ses voyages à Montréal avec une cinquantaine de livres à chaque fois pour nourrir le projet. « J’ai photocopié les poèmes que je voulais et les ai découpés. Je me suis retrouvée devant un immense casse-tête. Les mots m’ont guidé, les photos sont venues ensuite. »

Elle avait accès à ses dizaines de milliers de photos pour entreprendre le dialogue avec les images, métaphores, figures de style des poèmes. Elle a même appris le fonctionnement d’un logiciel de graphisme pour superviser l’ensemble. Comme tout le monde, même s’il avait fait beaucoup de photographie dans sa vie, elle a redécouvert plusieurs clichés oubliés. »

« J’ai l’impression que le choix de la photo parfaite est un peu comme la recherche des mots pour un.e poète. C’est comme instinctif. Je le ressentais au plexus solaire. À l’opposé, on sait aussi quand ce n’est pas la bonne photo qui va avec le texte. En recadrant la photo à d’autres moments. on trouve exactement ce qu’on cherche à dire. « 

Certains montages photographiques frôlent l’abstraction. Le flou poétique emprunte au réel tout en utilisant des photos qui ont quelque chose d’irréel. Monique Leblanc a beau tourner des documentaires, ses photos ne tentent pas de raconter une historie ou de reproduire une situation particulière.

La photographe a utilisé d’ailleurs plusieurs méthodes pour rendre la lecture plus dynamique avec des blancs, des pages dépliables, des photos ou des textes seul.e.s.

« Ça permet de s’attarder sur une photo ou sur un poème. On trouve une parenté avec les émotions qui se trouvent derrière l’une ou l’autre. C’est un autre langage. On n’est pas dans un roman ou un film de fiction avec une trame classique. »

Certains poètes – Louise Warren, Paul Bélanger, Geneviève Amyot, Patrick Lafontaine, Rachel Leclerc – apparaissent plus d’une fois puisque chacune des cinq parties du livre est annoncée par un de leurs poèmes. Sinon, tout suit une certaine « logique » poétique.

« Je voulais que ça coule bien. Que les liens soient là, mais subtilement. Si l’enfance est le thème de la première partie, ça ne signifie pas qu’on n’en parlera pas aussi plus loin. Il y a comme un récit qui intervient sans que ce soit découpé au couteau. »

Pour Monique Leblanc, la poésie reste une extraordinaire source d’inspiration, renouvelable et sans limite de temps.

« Un recueil doit pouvoir entrer en moi dans les jours qui suivent ma lecture. Je prends mon appareil photo et je suis consciente qu’il y a un chemin qui s’est ouvert. L’expérience du film de Louise et du livre m’ont donné envie d’aller encore plus loin dans ce processus. Je pense que les images font en sorte que la poésie fait moins peur. Un lecteur ou spectateur peut ainsi y aller de sa propre interprétation. »


Jécris peuplier

Sous la direction de Monique Leblanc

Éditions du Noroît, 2021

176 pages