
Le 16e FTA s’est ouvert avec avec la première visite à Montréal de Qudus Onikeku et de son spectacle Re : Incarnation. En entrevue, le chorégraphe nigérian explique qu’au-delà de la danse, c’est une communauté globale d’esprits artistiques qu’il veut créer depuis Lagos. Il s’intéresse aux idées et aux cultures afin de les laisser s’emparer des corps.
Le spectacle Re : Incarnation de Qudus Onikeku traite du cycle naissance-mort-renaisssance. L’artiste, qui a beaucoup voyagé et travaillé dans le monde, en France notamment, est d’ailleurs retourné chez lui à Lagos au Nigéria pour fonder un incubateur artistique, le Q Dance Center, dont les tentacules rejoignent désormais plusieurs continents pour former une communauté artistique unique en son genre.
L’un des jalons de son travail globalisé prend forme dans Re : Incarnation. Dans ces deux mots, il y a un Retour aux sources et l’Incarnation, , donc un passage obligé par le corps. L’artiste nous propose un voyage spirituel, existentiel, entre autres, mais surtout organique et physique, souligne-t-il.
» Depuis quatre ans, je m’intéresse à la mémoire du corps et à ce que signifie être un danseur aujourd’hui. Le corps est une archive qui peut nous offrir un regard nouveau sur la réalité qu’elle soit de nature politique, migratoire ou culturelle. Il représente un musée individuel dans lequel se trouvent des choses que nous avons oubliées et qui peuvent être ramenées à la surface. »
Qudus Onikeku note que certain.e.s jeunes danseurs et danseuses, par exemple, sont inconscients du fait qu’ils reproduisent parfois dans leur gestuelle des codes anciens provenant de traditions millénaires. En travaillant avec des interprètes qu’il a trouvés en partie sur internet, il a donc voulu fusionner leurs expériences esthétiques dans un récit chorégraphique qui suit le cycle de la vie avec une perspective différente sur la mort.
« Je ne leur montre pas comment danser, non. J’essaie d’ouvrir leur esprit à certaines choses, de les sensibiliser et ceci change leur façon de danser tout naturellement. Je travaille avec une cinquantaine de danseurs et de danseuses de cette façon à notre Centre. »
Corps et esprit
Le chorégraphe lance, en quelque sorte, un appel à un renouveau, à une réunion entre ce que le corps sait et que l’esprit a peut-être oublié.

« L’esprit humain a besoin d’ordre et de langage, mais ce n’est pas de cette façon que nous voyons le monde. Plusieurs choses dépassent notre compréhension et notre façon de l’exprimer en mots. Puis, nous les oublions et passons à autre chose. Dans une performance, que ce soit en danse ou en théâtre, on peut créer un chemin pour retrouver ces souvenirs et les assumer de nouveau. C’est, je crois, ce qu’un bon spectacle peut nous faire vivre comme spectateurs.trices. »
« Ce n’est pas un retour en arrière comme tel, mais une façon de se souvenir, poursuit-il. La vie elle-même n’est pas linéaire et ne fonctionne pas que dans une seule direction. La vie est faite de cercles qui nous donne l’impression de toujours recommencer, mais le fait d’avancer nous permet de nous rappeler et d’apprendre. Le souvenir est un processus qui aide à la guérison et à la création. »
Culture yoruba
À la base de Re : Incarnation, se trouve sa propre « reconnection » avec ses racines et la culture yoruba. Comme c’est le cas pour d’autres savoirs dans le monde, la culture yoruba ne croit pas que la mort représente une finalité, mais bien une transition vers la renaissance. Une quête vers l’équilibre et l’harmonie entre le concret et l’indicible, l’humain et le non-humain. c’est là qu’il agit.
« En dramaturgie, si on cesse de penser en termes de composition, un monde de possiblités s’ouvre aux interprètes, ce qui peut servir à la représentation. »
Durant les répétitions, Qudus Onikeku et ses danseurs.seuses ont vécu un deuil, celui d’une des interprètes nommée Love Divine, morte prématuréement en 2019. Ceci qui les a amenés à former un cercle de guérison et à faire une place à la disparue sur scène. Dans le spectacle, cette présence est représentée par la couleur rouge.
« Le spectacle comprend trois parties : la naissance qui est en blanc, la mort, en rouge, et la renaissance, en noir. La deuxième partie a nécessité plus de temps parce que nous devions composer avec la mort de Love Divine, quelque chose de très concret finalement. J’avais avec moi dix danseurs traumatisés. Comme chorégraphe, je leur ai dit que cette partie serait à la fois un hommage que nous lui rendons et un processus de guérison pour nous tous . »

Partage
Il va sans dire que le partage est une valeur importante pour Qudus Onikeku. Dans Re : In carnation, cette notion est passée par l’individualité de chaque interprète qu’il a ensuite guidée dans un tout qui comprend quelques chorégraphies de groupe, mais surtout des fragments qui ne sont pas interprétés nécessairement à l’unisson.
D’un point de vue global, sa démarche cherche à faire exploser les frontières. En mars prochain à Marseille, il réunira d’ailleurs une centaine d’interprètes en danse, musique et théâtre, des poètes, des philosophes, des historiens, des DJ… pour réfléchir à un espace créatif, une sorte de laboratoire offrant des échanges et de exercices pratiques.
« Produire un spectacle n’est qu’une des façons que nous avons de travailler. Nous construisons une communauté globale qui essaie d’imaginer de nouvelles cultures, de nouvelles économies, de nouvelles façons de travailler ensemble dans une forme hybride. Re: Incarnation est une étape, un point sur la carte, mais nous continuons le voyage. »

Re : Incarnation est présentée du 25 au 28 mai au Théâtre Jean-Duceppe dans le cadre du FTA
Infos et billets : fta.ca