LITTÉRATURE: Poésies premières

À En toutes lettres, on ne saurait parler de littérature autochtone sans rendre hommage à quelques poètes des Premiers peuples. Des signatures diverses se déployant entre la grandeur du territoire et l’infini de l’intime, en passant par des paroles plus engagées, anthropologiques ou philosophiques, en français ou traduites de l’anglais, de l’ilnu, du wendat et de l’inuktitut. Voici une sélection préparée dans le but de célébrer notre deuxième anniversaire.

« Quelque part / Dans le Nutshimit / Je suis chez moi / Sans adresse réelle / Ma rue s’appelle chemin de portage / Demain je remonterai la rivière / Retrouver mes bâtons à message / Quelque part / Dans le Nutshimit / Quelque part / La grandeur / De la Terre »

Joséphine Bacon

TSHIPALATIK

« Clergé affamé de l’innocence / Ministre de l’anorexie territoriale / Mon peuple est cerné // L’homme cruciforme / A fait de nos femmes des secrets / De nos hommes, des ombres // Puissent les poétesses / Délivrer notre nature / Féminité échevelée // Puissent nos hommes / Chanter Nitassinan / Legs de nos enfants »

Maya Cousineau Mollen

« Tous les paysages te ressemblent quand tu les éclaires : / le bois sale, les ruisseaux, l’apparition des / uishkatshan et des buses quand on en a besoin, / les érablières dans les coulées, l’ombre des crans / sur les montagnes, le couchant qui précise la ligne / de conifères et tshiuetin qui fait claquer les maisons ; / les assiettes de nourriture, les promenades en char, / le temps partout comme une donnée qui n’a plus / de sens que dans l’altitude de nos organes. /// J’aimerais dire tout ça / et arrêter de manger / la peau de mes lèves « 

Marie-Andrée Gill

« Je reviendrai / l’aube éclairera mes passages / plantera mes forêts // Mes descendants diront / Nitassinan / Assi // Je reviendrai nommer l’île / lui redonner son histoire / son nom ne sera plus inégal // Nul ne peut être digne / de la terre / si la dignité n’est redonnée / aux femmes / aux hommes / aux enfants // à qui on l’avait / dérobée. »

Nastasha Kanapé Fontaine

« RIEN QUE LA MER

Je vole en rêve / sur une mer salée / mon cœur est ma famille / mon peuple est mon cœur / mon cœur est ma terre / si elle navigue proche de nous / j’emporte le monde entier / sur mon dos fatigué / le navire de la vie / souffle par lui-même. // Où vais-je aller sans navire / je vais voler par-dessus les îles / chanter avec les baleines / le silence n’existe pas / car mon coeur bat fort … »

Rita Mestokosho

« tu n’as pas eu le temps de me dire / la forêt des anciens et nos coutumes // perdue entre la route rouge/ et l’autoroute blanche // celle de béton plutôt que de lichen // je te raconte notre histoire / je chante dans le tremblement du shaputuan / toi, grand-père mon territoire // pardonne à la lune la noirceur de notre peuple / une histoire sans toi sans moi sans notre peuple // moi, femme innue colonisée / toi, grand-père à demi sauvage / et nos peuples anciens nomades / tout à fait sauvages »

Manon Nolin

Magazine Spirale no 225, en entrevue réalisée par Jean Désy

« Un jour lors d’une nuit froide très froide / / J’ai pleuré / J’étais si seule / J’attendais quelqu’un pour me réchauffer / Mais personne n’est venu / Sauf une image / Une image de chaleur / Je m’y suis collée / Je l’ai couverte de mes larmes/ J’ai pleuré tout en l’appelant / Je lui ai demandé / Es-tu l’image de mes rêves / Elle m’a répondu / Je suis si fière de toi / Parce que tes larmes produisent / La chaleur de mon image / Mon image et la tienne sont les mêmes / Nous sommes seules toutes les deux / Mais toujours en contact / Chaleur contre chaleur / Amour contre amour / Jour après jour / Collées l’une contre l’autre / Plus jamais seule /
Plus jamais seule »

Emily Novalinga (1954-2009)

« Je suis le choc de deux cultures, / la blanche de béton et de fer, / la rouge de plumes, de fourrures / et de cuir tanné à l’odeur âcre / du bois qui fume. // Je suis d’une race dépossédée/ et d’une race à la recherche d’un pays. // Je suis d’un homme coureur des bois / que les Indiens nommaient Abitibi / à la parole haute et claire. // Je suis d’une femme / que l’on appela sauvagesse / à unique langage / et au silence lourd / face à son identité perdue. »

Virginia Pésémapéo-Bordeleau

« et si nous chantions encore un peu? / et si nous partagions nos grands récits? / et si notre mémoire rassasiée / nous allumions un doux brasier / en hommage aux Anciens? // et si nous arborions toujours leurs noms / sous l’oeil bienveillant de Petite Tortue? / nous n’aurions rien perdu de notre noblesse » 

Louis-Karl Picard-Sioui

« Après tant d’années /Des pas hantent encore ses nuits / Pensionnat indien // Tente de sudation / Avant d’entrer dans la noirceur / Se dépouiller // Veillée funèbre / Cornées par l’enfilage des perles / Les mains de grand-mère // Le tambour sacré / Du guérisseur innu / Je l’entends encore // La vie en ville / Des objets traditionnels / Plein la maison // Thé du Labrador/ L’odeur de la toundra / Dans ma tasse // Paiement d’épicerie / Sortir sa carte indienne / Devant tous ces Blancs »

Shan-Dak Puana

« PRINTEMPS DU DON

« Au-delà des vastes horizons / La vue seule accablée de mystère / Parois reluisantes / Reflets brûlants / Fantasques paysages // Aux habitants légendaires / Le terreau a fait foi / Racine abreuvée d’absence / Plaines arides / Fécondes de mirage // Au brasier succombèrent / De peines inconsolables / Gloires et vues / Exil de l’humaine voix // Printemps du don / Nos mains mères d’espoir / Se déploient »

Pierrot Ross-Tremblay

« Le sauvage a appris à lire / Dans les yeux de la biche // De la poésie sur le ventre d’un ruisseau // De chaque bord de sa hure / Traversent des vers / D’un côté rouge et de l’autre blanc / Qui s’unissent au centre du dos / Pour faire taire les lèvres déchirées // Dans l’envolée de tes verbes à la peau pâle / Ta langue traverse ma peau de cuir / Pour me frotter le corps qui t’ouvre ses pores // Des rendez-vous sur le lit d’un pays / Qui n’a pas d’excuses // Nous nous perdons dans l’amour / De nos différences »

Jean Sioui