THÉÂTRE : Réparation et réconciliation

En plus de sa participation comme comédienne à la pièce Les filles du Saint-Laurent présentée en ce moment à Paris, Émilie Monnet travaille à la création de Marguerite : le feu – une œuvre relatant la vie de l’esclave autochtone Marguerite Duplessis – qui sera présentée au printemps. Cette artiste multidisciplinaire a créé plusieurs spectacles en une dizaine d’années. Okinum est sa première pièce publiée.

Émilie Monnet est d’origine anishnaabe et française. Directrice artistique de la compagnie Onishka (« réveille-toi »), elle élabore une pratique théâtrale qui se situe aux abords de la performance et des arts médiatiques. Okinum est le résultat d’une résidence d’artiste au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui (CDT’A) où elle a été présentée par la suite. Elle vient de l’être encore, en version anglophone, au Centaur Theatre. Elle a fait partie de la liste des œuvres retenues pour le Prix du Gouverneur Général catégorie Théâtre. Déjà, grâce à son travail, Émilie Monnet a reçu le Prix Michel-Tremblay 2019, en plus d’un prix, en 2020, octroyé par Indigenous Voices.

L’occasion de ces remises de prix nous autorise à la revisiter quelque peu. Ce sera le contenu qui retiendra notre attention, car la présentation de cette pièce en un théâtre francophone est un peu loin en nos mémoires.

Cette œuvre s’inscrit à nouveau dans la tentative de faire concilier des pratiques contemporaines avec des usages fondés sur ce que la culture autochtone peut nous offrir. Une présentation qui tient un peu de l’installation, combinée à ce que peuvent y ajouter des projections vidéo, permet de réaliser cet amalgame. Rappelons un texte récent, publié sur ce site, où on évoquait cette difficulté dans le cadre, cette fois, d’une exposition en une galerie d’art visuel. À des médiums différents, se mesure un même enjeu. 

Lire: https://mariocloutierd.com/2021/10/08/arts-visuels-ouvrir-le-chemin/

Okinum, en langue anishnabemowin, désigne un barrage de castor. Dans ce monologue où s’entrecroisent ce langage autochtone, le français et l’anglais, il devient la représentation d’un blocage plus profond, alors que la narratrice est affligée d’un cancer de la gorge. Certains échanges avec une interlocutrice absente suggère en plus que ce personnage est en processus d’apprentissage de sa langue normalement maternelle. Ce qui est donc pris dans la gorge représente finalement ce qui devrait couler de source.

On sait ce que cette situation peut avoir de singulier mais de parfaitement attendu dans un contexte de colonisation et de politiques d’assimilation qui ressemblent plus à des tentatives de génocide culturel. L’œuvre se veut donc réparatrice et se lance sur la trace des maigres pistes, qui peuvent ramener la narratrice dans le lieu de son espace culturel propre et, partant, de son identité enfouie, oubliée, spoliée.

Elle entreprend donc cette équipée en créant cette pièce qui peut autant rassembler à une œuvre qu’à un rituel réparateur. Ce que l’artiste emprunte ici à l’installation et à la vidéo permet de reconnecter la culture à sa dimension spirituelle. Il n’est pas besoin d’être grand érudit ni grand savant pour comprendre que quelque chose tente, bien ardûment, de se dégager comme possibilité réconciliatrice.

Les pratiques culturelles autochtones devaient tenir, jadis, bien plus de la célébration de la communauté et de son rapport avec son territoire. Elles tenaient de l’effort spirituel et social de trouver un sens plus profond au fait d’être et de vivre et de marcher en ces lieux. Il s’agissait donc pour l’artiste de faire tenir ensemble un rapport plus contemporain et européen, fait de savantes innovations scéniques, avec la tentative de renouer avec cet héritage. Elle y est bien parvenue. Il fallait montrer que cette voie est aussi pavée d’une sorte d’ignorance culturelle, provoquée par des années et des siècles, n’ayons pas peur des mots, d’éradication culturelle.

Le spectateur navigue donc entre les différents états de cette quête. Il voit la peur de mourir, le fait d’être en attente de revivre au sein de son territoire propre, au sein de sa culture, réconciliée, enfin; l’effort d’apprendre ce qui fut. Il voit des monceaux de savoir du passé, l’esprit du castor, l’espace du rêve qui montre la voie vers ce nord de soi. Il entend la fureur grondée, il prend acte de ce qui fut tenté pour éradiquer un mode de vie jugé peu moderne, trop arriéré.

Okinum est grosse de possibles, de frustrations comme de colères. Mais elle l’est aussi de l’espoir d’enfin correspondre à soi, depuis un modèle qui est difficilement accessible mais peut être recomposé à partir de fragments d’hier et d’aujourd’hui.


Émilie Monnet

Okinum

Éditions Les Herbes rouges, 2021

85 pages