
Marcel Grondin et Moema Viezzer forment un couple. Le premier a été coopérant international et professeur dans de nombreuses universités. Auteur de 11 livres, il s’intéresse à l’histoire des populations indigènes des Amériques dont il parle quelques langues parmi les neuf qu’il connaît. La seconde est une sociologue qui a consacré sa vie à l’éducation populaire, surtout à la cause des femmes et aux questions environnementales. Tous deux vivent à Toleda, au Paraná, l’un des états du Brésil. C’est à deux qu’ils ont rédigé ce livre, paru originalement en portugais et maintenant additionné d’un chapitre écrit par Nawel Hamidi et Pierrot Ross-Tremblay, pour les besoins de cette édition en français.
Ils se sont employés à faire l’histoire des Amériques, commençant le périple avec l’amorce des conquêtes outre-mer des pays d’Europe. Pour ceux-ci, la découverte du Nouveau Monde, on le sait, est le prélude nécessaire à des possibilités d’expansion et d’exploitation. C’est une histoire que l’on connaît évidemment dans ses grandes lignes, et qui a été faite territoire par territoire. Mais cette fois, elle est envisagée de manière plus englobante, sous la perspective des conséquences tragiques que ces conquêtes ont pu avoir sur les peuples qui, on l’oublie souvent, y résidaient déjà et dont il a été fait très peu de cas.
On chemine donc de chapitre en chapitre, chacun consacré à une arrivée en cet univers nouveau, celle de Christophe Colomb inaugurant l’aventure. Des premiers contacts d’abord harmonieux avec les habitants, on passe vite à des relations nettement plus houleuses et dont il découle assez rapidement une amorce de génocide. C’est ainsi qu’on ne compte aujourd’hui plus aucun descendant des quatre millions d’habitants qui résidaient, depuis bien des générations dans les îles des Caraïbes. Il en résulte un problème de main d’œuvre pour les Conquérants, qu’ils règleront en allant allègrement puiser en Afrique, dans une autre de ces cheptels des communautés qu’ils ne considèrent pas digne de la condition d’êtres humains, les Africains. Ainsi naît cette Amérique moderne, dans l’asservissement et l’annihilation de ceux qui y habitent déjà; et dans le rapt et l’esclavage d’Africains ravis à leur continent.
La charmante escapade se poursuit donc avec l’arrivée d’Hernán Cortés au Mexique et sa confrontation avec les Mexicas/Aztèques de la ville de Tenochtitlan. Cette campagne militaire, qui exploite les alliances que va former l’Espagnol avec les peuples dominés par la caste régnante de l’époque, réunie autour de Moctezuma, l’empereur, est perçue comme un chef d’œuvre d’efficacité et de stratégie militaires. Mais elle repose aussi en partie sur les hésitations de l’empereur même, un rien craintif devant ces gens venus d’Europe qu’il n’est pas loin de considérer comme des dieux, sur la base de croyances propres à sa culture et aux augures du temps. La cupidité des Conquérants les mènera à imposer des conditions de travail atroces à ceux qu’ils ont vaincu et qu’ils assignent à un labeur dément dans des mines et autres exploitations. Si bien que, de 25 millions à l’arrivée de Cortés, la population indigène est passée à 700,000 résistants en 1605.
Le portrait offert est d’autant plus cruel que chaque chapitre s’ouvre avec une description des civilisations qui occupaient le territoire. Leur histoire propre, leur développement dans le temps, enfin, ce qui nous en connaissons à ce jour, ouvre la marche et nous fait encore mieux mesurer l’iniquité de leur destin, une fois arrivés ceux qui se feront les maîtres du territoire et de ses ressources.
L’histoire va se répéter avec les Incas, alors qu’une guerre civile entre Atahualpa et Huascar, frères ennemis, affaiblit l’empire et permet à Fernando Pizarro de triompher. Une fois ceux-ci défaits, la structure sociale et politique des Incas, rigide et centralisée, s’effondre et la déroute est totale.
Suivent les cas des actuelles contrées que sont le Brésil et les États-Unis. Pour le premier, c’est à un génocide moins fulgurant et plus étendu dans le temps auquel on assiste, et qui est toujours en cours. Les États-Unis dits d’Amérique, quant à eux, commencent par un déplacement forcé des populations, principalement à la suite de la conquête de la Nouvelle-France qui ouvre la porte à la découverte et à l’exploitation de nouveaux territoires. Les colons ont besoin de terres et la nation, de s’étendre. Les écoles d’acculturation imposées aux Autochtones, que l’on connaît bien mieux maintenant au Canada, achèveront un travail d’assimilation, étape dernière d’un génocide culturel mais qui n’est pas moins meurtrier qu’auparavant.
Même histoire
C’est toujours une même histoire qui est ici narrée, même si elle se module différemment en amplitude dans le temps. Mais qui donne les mêmes résultats : ce sont en effet 70 millions de personnages qui ont fait les frais, de leur vie, de cette colonisation violente et forcenée.
Un versant s’ajoute à cette entreprise descriptive. Ne s’agit-il pas ici de faire aussi l’histoire de la résistance et de la survivance des peuples autochtones, comme l’annonce l’intitulé? Aussi, trouve-t-on, dans chaque chapitre, au gré des forces de résistance qui se développent, une description des initiatives de reconnaissance et de revitalisation de la culture comme des forces politiques, quand faire se peut, de ces peuples bafoués.
Un chapitre, publié en annexe, s’ajoute à cet ensemble. Il est des auteurs Nawel Hamidi et Pierrot Ross-Tremblay et sa facture est bien différente. Il n’offre pas, et on le regrette un peu, un parcours aussi historié que chaque section du livre développait. La réalité de la soumission du territoire canadien aux impératifs coloniaux est sans doute très différente, plus diffuse; en bref, plus en butte au changement de régime colonial et à la timide occupation (numériquement parlant, s’entend; car, sur un plan géographique, ce fut très étendu) qu’en firent d’abord les Français. Sans doute que c’est beaucoup demander que de s’attendre à trouver une telle description dans un bref chapitre. Aussi, les auteurs se livrent-il plutôt à un portrait d’ensemble fort intéressant. Mais cette histoire, aux amplitudes et effets différents, resterait à faire et on se permettra ici de l’espérer pour bientôt.
Est-il nécessaire de souligner l’importance d’une telle contribution à l’histoire des Amériques? Car apparaît en ces pages une vue d’ensemble qui nous rappelle que nous sommes les descendants d’une occupation qui fut dévastatrice. Ce n’est pas gai à attendre mais il faut savoir écouter cette tumeur qui nous vient d’un passé pas si lointain et au sein de laquelle s’entendent les cris de ces sacrifiés à l’autel élevé au progrès et à la modernité!
Marcel Grondin et Moema Viezzer
Traduit par Yves Carrier et Raymond Levac
Le Génocide des Amériques. Résistance et survivance des peuples autochtones
Éditions Écosociété
360 pages