POÉSIE : Les recueils de 2022

La poésie continue de nous bouleverser, déséquilibrer, émerveiller, enrichir lune après lune, année après année. Parmi les recueils reçus en 2022, voici les 25 que nous avons retenus. Merci de nous lire, merci de les lire.

Monique Adam, La constellation du crabe, Éditions de la Pleine Lune

 » Travail lent dans la constance des jours / un seul sans ton frôlement / Ravive l’inconvenance de la mort // Je suis une bête offerte / qui tourne en rond / dans la cage de ton lit  »


Nora Atalla, La révolte des pierres, Écrits des Forges

 » pieds enracinés dans l’apathie

éboulements sur nos têtes

nous interrogeons l’inexplicable

quémandons la pitié

hélas les granits restent cois

dans le trouble de la vase

la réponse rarement survient « 


Paul Bélanger, Traverses, Noroît

 » laborieuse mémoire / débordant ce qui la contient / au fond du présent l’alleluia / du ciel pourpre chagrin / change l’aspect de la ville / dont je suis l’inventaire / de cercle en cercle / jusqu’à ses bords échouant dans le fleuve / sur la rive lumineuse « 


David Bergeron, Ithaques, Mains libres

« à vivre le nez planté dans les étoiles on en oublie le nom des îles // combien de temps a-t-il passé le dos brisé sur son ouvrage chien de chasse chariot de feu sagittaire // combien d’heures à se piquer les doigts sur cette tapisserie de l’impossible à se mordre la langue pour ne pas rire et comme Pénélope tout détricoter dans la nuit pour qu’au matin on se découvre les yeux comme des marais salants »


Louise Bombardier, Dans le giron vert de l’été, Poètes de brousse

 » Croquer du noir avant Noël, / tout en soignant nos tâches. / Les oiseaux fauves écrivent / de leurs plumes les traités / de paix de la saison morte. / Ne souffrez pas trop, / j’ouvre mes ailes rousses / au-dessus de vos têtes. / Nous sommes un voilier, / en formation de bouclier, / à vous protéger des calamités. « 


Nicole Brossard, L’ongle le vernis, Noroît (tableaux sonores de Symon Henry)

 » débris d’orage / je conserve / quelques solutions / métaphores et méthodes / de lentes évaporations de pronoms // d’un livre à l’autre / je consens / bris de débris / sel fin de ruse et de joie / sur la langue de mon animale « 


Colin, Chant d’obstacles, Poètes de brousse

 » je ne dors pas sans faire ciel bruit / tombe des crêtes un ange entre les branches // cette aube-là / agitant ses proies de langues fendues / en pleine bouche claire-blessée / ce tout en moi prière / rosée, asthme, dilatation / prière « 


Carole David, Le programme double de la femme tuée, Les herbes rouges

 » Une enquête, une ombre / à la lune fracassée / d’improbables venelles / m’emprisonnent / quelqu’un souffle derrière mon dos / son couteau miséricorde le trahit / le touffeur sourde-muette / ma vie intacte conservée / c’est écrit / une rosace qui en dit long « 



Anne-Marie Desmeules, Envies, Le Quartanier

 » ce moment terrible et scellé / où je perds le contrôle de ma bouche / un barreau a été scié / je ne sais pas lequel // octobre tard / un fusil emprunté / la famille comme un cran / un visage d’ombre / en façade / l’assiette éclaboussée / la purée // je me presse à l’arrière de ma tête / cet endroit liquide où je me diffracte / et qui fait peur »


Jean-Marc Desgent, Quelques enfants sauvages, Poètes de brousse

 » Se jeter par la fenêtre régulièrement, / il faut se supprimer le plus souvent possible, / notre trop peu d’intelligence en dépend, / la mémoire s’ouvre fréquemment par nos tempêtes, / mes langages cassés sont parlants parfaits, / l’école du quartier m’apprend à lire mes stigmates . // Il y a encore des bosquets en fleurs, / des mers colorées, mais je ne peux plus revenir . « 


Frédéric Dumont, Chambre minimum, Les herbes rouges

 » Qu’il coagule dans sa manœuvre,

je me dis. Le poème, qu’il coagule

sans enquête. J’attendrai, profil bas.

J’aurai tant d’air pour tant d’espace.

Tant pis pour le mauvais jour, tant pis,

j’aurai au moins reçu mes doigts. « 


Louise Dupré, Exercices de joie, Noroît

« Devant la nuit opaque, l’amour-propre devient une abstraction. // Tu fuis les réponses préfabriquées, tu préfères donner ta langue au chat. // La parole dissimule bien ses racines, elle les protège des certitudes. // Tu ignores ce que tu as reçu du passé, tu ne sais pas davantage ce qu’on retiendra de toi. Peut-être rien. Rien. // Mais tu poursuis, tu tiens à relier le présent au passé comme des continents immergés. // Chaque poème est une odyssée, il te mène là où il ne t’attendait pas. »



Virginie Fauve, la poussière nous cerne parce qu’elle nous ressemble, Le lézard amoureux

 » sans protection

l’avalanche

des douleurs radicales

ne me protègera pas

quand il sera temps

de brusquer

l’apathie des chutes

je vas donc participer au carnage

comme tout le monde « 


Jonas Fortier, Courbure de la terre, L’oie de Cravan

 » il fait noir maintenant, la nuit est mûre / mais, je refuse de me coucher / sur le ventre comme autrefois / la lune touchée disparaît / elle qui sut être aussi ronde / qu’une voyelle dans un mot

l’horloge ferme son œil de sirène / enfumé par le tabac des phrases / je ne sens ni ne vois / au contraire j’entends l’appel / le ruissellement de la durée / où tout ce qui flotte fut aimé « 


Mireille Gagné, Bois de fer, La Peuplade

 » J’ai grandi avec une roche à l’intérieur du corps. Quelqu’un quelque part s’en est sûrement aperçu, mais n’a pas eu le réflexe de l’enlever de ma périphérie. Cette roche, donc, qui au début se situait à dix centimètres de moi, s’est rapprochée, rapprochée, à mesure que je prenais de l’expansion. Je n’ai pas pu l’éviter. Un jour, j’ai dû ouvrir la bouche pour l’avaler. »


Marie-Élaine Guay, La sortie est une lame sur laquelle je me jette, Poètes de brousse

 » Ce qui reste pris dans sa gorge, c’est l’antimatière, l’une de ses multiples réactions rugueuses qui tourmentent de pied ferme sa bercée. Ça coule de la tête au bassin, un vrai cancer rongeant sa proie, broyant les nœuds. Elle dit parasite. Elle dit dégage, mais rien. Ça reste là, accroché, jusqu’à ce que les ongles poussent sous l’épiderme. Elle dit je t’aime. Ça reste là. « 



Bertrand Laverdure, Ce livre ne s’adresse qu’à 0,00005 % de la population, Hamac

 » j’aimerais vivre mille ans dans la torpeur du non-sexe / regarder le curcuma pleuvoir / sur nos peaux d’habitat / prier pour que le normal ne soit jamais déchirure / manger le non-dit qui n’a pas sa place / caresser le marsouin de nos confessions sereines « 


Rita Meśtokośho, Atiku utei Le coeur du caribou, Mémoire d’encrier

FEMME ÉCLAIR BLEU

 » Une liberté qui fait mal / des enfants meurent / dans le silence / dans le froid de l’hiver/ je rêve / d’un grand ciel / pour leurs âmes / les ancêtres se parlent / les tonnerres grondent / je te le dis /
la lumière viendra / le jugement viendra / tout mon corps souffre « 


Catherine Morency, Le jour survit à sa chute, Le lézard amoureux

 » Fini le temps des filles / couche-toi là // prends ma main / frotte mon sexe // nous ne sommes plus vos chiennes / rompues au domestique // nous prenons poing / sur un sentier plus juste. « 


Laurance Ouellet Tremblay, La vie virée vraie, Le Quartanier

 » de plongée en plongée / j’atteins au limon et rencontre / le premier pleur d’entre les pleurs / espace simple où règne / une souffrance sans esclave / une souffrance d’avant le sexe / et qui nous lie  »


Yannick Renaud, Présent, Les herbes rouges

 » En pâture vertiges célestes, prodiges marins, présence oscillante, irrépressible chœur on avertit, on témoigne pour personne, la reprise on profère. On implore, on redoute blessure pérenne, déshonneur, on tue au cas où va le monde.

L’avenir a lieu à la tombée du jour qui se lève à l’avenir. « 


Emmanuelle Riendeau, Domaine du repos, Noroît

 » Notre héritage est un art de vivre / canal évasion en fonds marins / projette l’imagerie de la pauvreté / l’exutoire des sans passeports / de ceux qui n’auront jamais / pris l’avion / ni traversé de frontière // une cigarette allumée / se berce / pas de pendaison / pas de suicide officiel / une disparition murmurée « 




Virginie Savard, Les deuils transparents, Triptyque

 » je me bricole / une zoothérapie de fortune / avec les fourmis / qui grimpent sur mes doigts // je leur parle / je murmure / merci / je pleure / je me sens moins seule // à défaut d’un cœur blindé / j’aurai des chatouillements à l’intérieur / du poignet « 


Élise Turcotte, À mon retour, Noroît

 » Devant les colosses déboulonnés : / heureuse, ai-je annoncé. / Puis j’ai tourné le dos au fleuve. / Les rues étaient toutes droites, / les paroles, mathématiques. / Dis-moi où tu es, ai-je dit, / et je passerai la commande / de l’amitié. « 


Marie-Hélène Voyer, Mouron des champs, La Peuplade

 » je touche dans le miroir / ma bouche gonflée de pleurs / voilà le visage voilà la voix / qu’on m’a prêtée / mes mouvements ont l’amplitude saccadée / des films muets / des femmes nombreuses m’observent ici / empruntent mon reflet / m’espèrent vivante / encore un temps / pour porter leurs voix / encore un peu  »